Si
les hommes avaient le pouvoir d'organiser les circonstances de leur vie au gré
de leurs intentions, ou si le hasard leur était toujours favorable, ils ne
seraient pas en proie à la superstition. Mais on les voit souvent acculés à une
situation si difficile, qu'ils ne savent plus quelle résolution prendre ; en
outre, comme leur désir immodéré des faveurs capricieuses du sort les ballotte misérablement
entre l'espoir et la crainte, ils sont en général très enclins à la crédulité.
Lorsqu'ils se trouvent dans le doute, surtout concernant l'issue d'un évènement
qui leur tient à coeur, la moindre impulsion les entraîne tantôt d'un côté,
tantôt de l'autre ; en revanche, dès qu'ils se sentent sûrs d'eux-mêmes, ils
vantards et gonflés de vanité. Ces aspects de la conduite humaine sont, je
crois, fort connus, bien que la plupart des hommes ne se les appliquent pas ...
En effet, pour peu qu'on ait la moindre expérience de ceux-ci, on a observé
qu'en période de prospérité, les plus incapables débordent communément de
sagesse, au point qu'on leur ferait injure en leur proposant un avis. Mais la
situation devient-elle difficile ? Tout change : ils ne savent plus à qui s'en
remettre, supplient le premier venu de les conseiller, tout près à suivre la
suggestion la plus déplacée, la plus absurde ou la plus illusoire ! D'autre part, d'infimes motifs suffisent à
réveiller en eux soit l'espoir, soit la crainte. Si par exemple, pendant que la
frayeur les domine, un incident quelconque leur rappelle un bon ou un mauvais
souvenir, ils y voient le signe d'une issue heureuse ou malheureuse ; pour
cette raison, et bien que l'exercice leur en ait donné cent fois le démenti,
ils parlent d'un présage soit heureux, soit funeste.
SPINOZA
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